quarta-feira, 2 de fevereiro de 2011

De l'inutilité d'un Parlement

Le Monde

A Caracas, ce soir-là, le concert de casseroles a débuté, si l'on ose dire, à 20 heures tapantes. Pendant quinze bonnes minutes, le tintamarre échappé des fenêtres a assourdi le quartier, amplifié par l'écho que se renvoyaient les tours d'immeubles. Avant de s'estomper peu à peu dans la nuit.

Au même moment, le fracas des ustensiles de cuisine a retenti dans une douzaine d'autres quartiers de la capitale vénézuélienne et dans quelques grandes villes du pays. Ce bruyant rituel protestataire résultait d'un mot d'ordre lancé sur le site de messagerie Twitter par l'opposition au régime du président Hugo Chavez.

Au Venezuela, comme un peu partout dans le monde, les réseaux sociaux sont devenus un outil efficace de mobilisation politique. Le chef de l'Etat, apôtre de la "révolution bolivarienne", l'a bien compris. Son compte Twitter, ouvert en avril 2010, dépasse le million d'abonnés. La grande majorité de ses correspondants l'assaillent pour lui demander du travail ou un logement.

Depuis un mois, l'opposition a retrouvé un moyen - et un lieu - d'expression plus traditionnel : le Parlement. En 2005, elle avait commis l'erreur historique de boycotter le scrutin législatif. Grâce à une Assemblée à sa dévotion, Hugo Chavez eut loisir de "radicaliser le socialisme" à son gré. Aux élections de septembre 2010, le président n'a pu empêcher ses adversaires de l'emporter, avec près de 53 % des suffrages. Un "charcutage" préalable des circonscriptions a contenu leur poussée. Mais avec 40 % des sièges, ils peuvent espérer faire entendre leur voix. Du moins en théorie.

Car, en vertu d'un nouveau règlement intérieur, l'Assemblée ne se réunit que quatre fois par mois. Chaque député doit limiter son temps de parole à quinze minutes d'un bout à l'autre d'un débat. Toutes les commissions sont contrôlées par le pouvoir. Une chaîne télévisée gouvernementale a le monopole de la retransmission des séances, ce qui permet d'interdire d'antenne les gêneurs.

Mieux : les députés n'ont plus le droit de "sauter la palissade", autrement dit de voter, sur un texte, différemment de leur parti. La discipline devient une camisole de force. Qu'un député se montre infidèle une seule fois, fût-ce en son âme et conscience, il sera tenu pour coupable de "fraude envers ses électeurs" et risquera d'être suspendu ou déchu de son mandat. Cette disposition préventive cible les élus "chavistes" qui seraient tentés, un jour ou l'autre, de changer de camp.

A quoi bon débattre, d'ailleurs, si on peut deviner le résultat de chaque vote ? Aux yeux d'Hugo Chavez, le débat parlementaire lui-même semble superflu. Il a donc verrouillé encore plus le système en se faisant octroyer, pour la quatrième fois, des pouvoirs spéciaux : pendant un an et demi, il légiférera par décret. N'est-ce pas plus simple et plus rapide ?

De toute façon, l'essentiel a été fait avant l'entrée en fonctions du nouveau Parlement. L'écrasante majorité dont il disposait dans l'ancienne assemblée a adopté une vingtaine de lois, baptisées par l'opposition "le paquet cubain".

Ces textes resserrent l'emprise de l'Etat sur l'économie et la société. Radio, télévision et Internet sont contrôlés plus strictement. Les banques, déclarées "d'utilité publique", sont nationalisables à tout moment. Les gouverneurs et maires élus peuvent être partiellement ou totalement dépouillés de leurs attributions, transférables au "peuple souverain" dans des "communes socialistes". La menace vise les édiles appartenant à l'opposition.

Cet arsenal de lois, adopté à la va-vite, reprend des dispositions contenues dans un projet de Constitution socialiste rejeté par référendum en décembre 2007. Ce dont le peuple n'a pas voulu, Hugo Chavez l'a fait approuver trois ans plus tard par ses représentants. Le président a de la suite dans les idées.

Il n'a concédé qu'un seul recul tactique en renonçant - provisoirement ? - à la loi qui devait abolir l'autonomie des universités, face à la levée de boucliers des étudiants et des enseignants. Il n'a rien à craindre du côté de la justice : la Cour suprême a été inopinément renouvelée. Ses 41 nouveaux juges sont des "sympathisants" de la Révolution, dont d'anciens députés du parti au pouvoir.

Le "plan de route" d'Hugo Chavez est tout tracé. Dix-huit mois de gouvernement par décret lui ouvriront la voie de la prochaine campagne présidentielle. "Ce soldat sera candidat en 2012", dit-il de lui-même. Qui en doutait ?

Sur le ton mi-agressif, mi-hâbleur qu'il affectionne, le chef de l'Etat prévient ses opposants qu'ils "n'auront plus jamais la majorité au Parlement", et qu'"ils ne retourneront plus au palais (présidentiel) de Miraflores". Il laisse le chef d'état-major de l'armée marteler que celle-ci ne tolérera pas une victoire électorale de l'opposition.

Hugo Chavez est déjà en campagne. Et l'intendance suivra. En 2010, le budget de la présidence a sextuplé par rapport à 2009. Ce gros milliard d'euros finance notamment la sécurité, les voyages, la communication et les dépenses domestiques du président. Un seul exemple : le renouvellement et l'entretien de sa garde-robe, civile et militaire, coûtent au contribuable vénézuélien 325 000 euros par an. Mais, comme chacun sait, la révolution n'a pas de prix.

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